Avis d’experts sur la pénalité d’Alex Thomson - Le Carrer/Caraës - V&V
Auteur et journaliste, Olivier Le Carrer a longtemps été le rédacteur en chef de la revue Bateaux. Nous publions sa réaction à la suite de la pénalité reçue par Alex Thomson après son échouage. Directeur de course de la Route du Rhum, Jacques Caraës – quatre tours du monde en course dans les bottes – lui répond, sur un même ton non polémique.
Olivier Le Carrer : « Le jury aurait très bien pu prononcer une sanction symbolique. »
Bien que l’affaire ait été rapidement passée par pertes et profits, nous sommes quelques passionnés de voile à avoir trouvé assez choquante et franchement anachronique la sévérité de la sanction qui a frappé Alex Thomson. Voilà une course où l’assistance est autorisée un peu partout, où l’on peut se faire remorquer à l’entrée ou à la sortie d’un port sans encourir de pénalité… Mais où un gars qui a dominé la course de bout en bout peut perdre sa victoire parce que, après une grosse bêtise, il s’en sort tout seul en déplombant son moteur 10 minutes sans demander l’aide de personne !
Dans la logique « Rhum », il semblerait que s’il avait touché un caillou près de la Grande Vigie et demandé à se faire remorquer dans une baie voisine le temps de réparer, l’incident serait passé comme une lettre à la poste. C’est absurde…
Même l’ISAF se montre plus compréhensive puisque dans ses règles (article 42.3i dans le guide FFV) elle prévoit explicitement que « les instructions de course peuvent, dans des circonstances données, autoriser la propulsion par l’usage d’un moteur […] à condition que le bateau n’obtienne pas un avantage significatif dans la course » .
Après examen des instructions de course et du barème de pénalités de la Route du Rhum 2018, il apparaît d’une part que celles-ci gagneraient à être « rafraîchies » et clarifiées, mais que même en l’état, le jury aurait très bien pu avoir une lecture plus éclairée et prononcer une sanction symbolique, plus légère, qui aurait évité un chamboulement dont personne ne peut vraiment se réjouir.
Pour mémoire, quand le VO70 Groupama 4 , skippé par Franck Cammas, a démâté dans la cinquième étape de la Volvo 2011-2012, il a pu rejoindre - sans pénalité - la côte uruguayenne au moteur, installer au port un gréement de fortune, puis reprendre la course au point précis où l’équipage l’avait laissée. Il a ainsi fini troisième de l’étape, ce qui lui a permis de gagner cette Volvo Ocean Race.
Il me semble que c’est la première fois (sauf oubli de ma part) dans l’histoire de la course au large qu’une décision du jury remet en cause une première place sans qu’il y ait eu erreur de parcours, tricherie manifeste ou litige avec un tiers (le cas de Philippe Poupon dans l’Ostar 1984 étant évidemment différent, puisqu’il s’agissait d’une bonification accordée à l’un de ses suivants - Yvon Fauconnier - qui avait perdu plusieurs heures pour se porter au secours d’un autre concurrent).
Jacques Caraës : « Alex n’a pas eu le temps de demander le code. »
Il y avait un tableau des pénalités mis en place par le jury international, et ce avant le départ, en fonction des avaries, d’un moteur déplombé… Il y avait des minimums et des maximums. Pour une mise en route d’un moteur, pour échapper à un cargo ou te sortir des cailloux comme ça a été le cas pour Alex, tu pouvais aller de 24 heures à la disqualification.
Le jury a décidé de mettre le minimum de ce qui était initialement prévu. Les coureurs étaient au courant. D’ailleurs, Alex n’a pas du tout cherché à discuter la décision. Cette dernière peut paraître sévère quand on ne connaît pas ce tableau de pénalités… Mais c’est le minimum.
Le jury est monté à bord pour le lui signifier, et lui, très fair-play, a accepté cette décision. Il faut rappeler que dans l’avis de course, on avait un rayon de 150 nautiques autour de Saint-Malo où tu pouvais t’arrêter autant de fois que tu le voulais, sans temps limite. Quand tu sortais de ce rayon, tu n’avais effectivement qu’un seul joker, mais tu devais appeler avant la direction de course si tu avais un problème et lui demander un code pour déplomber dans les règles.
C’est le jury qui pose réclamation
Tu replombais ensuite ton moteur et tu repartais. C’est ce qu’a fait Lalou Roucayrol, d’ailleurs. Vu la gravité de la situation quand Alex s’est mis sur les cailloux, il n’a pas eu le temps de demander ce code. Il a déplombé son moteur en bon marin pour s’en sortir. Il n’allait pas m’appeler au vu de la précipitation du moment. Quand tu arrives sur une falaise endormi, tu n’as pas le choix. Ensuite, c’est le jury qui pose réclamation contre le coureur. Ce n’est pas la première fois.
Beaucoup commentent car ils n’ont pas les textes ou l’avis de course. Si Alex était rentré dans un abri et avait appelé avant, on lui donnait un code de trois-quatre lettres, ce qui lui permettait de le mettre devant son plomb moteur, afin d’être sûr qu’il n’a pas déplombé. Ça changeait tout ! Mais bon, Alex n’allait pas nous dire qu’il faisait une escale technique dans les cailloux ! Le choc a été tellement brutal. Ensuite en bon marin, il s’est sorti de ce truc et a repris sa route. C’est très rare qu’un leader s’échoue et c’est très douloureux pour lui. Mais Alex n’a pas d’aigreur par rapport au jury et sort grandi. Ses compères Paul [Meilhat, vainqueur de la course après la pénalité, ndlr] et Yann [Eliès, classé deuxième] sont totalement d’accord avec cela.
N. B. : Parmi les ouvrages les plus récents d’Olivier Le Carrer, citons Océans de papier, une histoire des cartes marines et l’excellent 69, année héroïque dont Voiles et Voiliers avait publié de larges extraits.
n sont totalement d’accord avec cela.